Saturday, July 23, 2011

Introduction du Creole a L'ecole: Un cas de politique linguistique/Nooreeda Khodabocus/Le Mauricien22.07.11 (Part 2)

Introduction du créole à l’école : un cas de politique linguistique

L’élaboration des politiques linguistiques
Article paru dans Le Mauricien |
Une politique linguistique est censée résoudre un problème ou éviter des problèmes d’ordre linguistique au niveau de la société. Quels problèmes sont liés au créole ? Nous pouvons légitimement nous poser la question. Le problème majeur semble être la dévalorisation d’une certaine couche de la société par la dévaluation du créole. D’une manière particulière, l’échec scolaire serait lié au fait de l’absence du créole justement. N’élimine-t-on pas ce problème en permettant au créole d’être langue d’enseignement ? En fin de compte, cette situation, ce problème, ne serait-il pas une fiction encouragée par les hommes politiques pour servir leur intérêt ?
Le but d’une politique linguistique est de partir d’une situation initiale et de proposer des choix en vue d’obtenir une situation jugée plus satisfaisante. Ici, en l’occurrence, le choix a été d’introduire le créole à l’école. Ce choix est en lui-même louable. Il s’agit de perpétuer le patrimoine, bien que là encore, on se pose des questions. Le créole n’est pas une langue en danger si l’on en croit le dernier recensement de la population de 2000, en attendant de connaître les résultats du recensement effectué cette année. La planification linguistique s’intéresse quant à elle à l’organisation des différentes phases. Bien qu’en pratique les choses soient plus complexes, on peut compter quatre phases principales :
Identification d’un problème. Ici, le problème concerne la place du créole dans l’éducation. Considérons la situation. On a jugé nécessaire l’introduction du créole. Dès cette étape, les problèmes réels qui auraient dû émerger concernent le curriculum et le recrutement et la formation des enseignants. Qu’en est-il actuellement ? La décision a été prise et ce n’est qu’ensuite qu’on a considéré ces aspects. A cinq mois de la rentrée scolaire de 2012, la formation des enseignants est au point de départ. Ce temps est-il suffisant ? Ne devrait-on pas déjà avoir un cursus afin de faciliter la formation par rapport à ce cursus justement ?
Évaluation des solutions possibles. Vu que les problèmes qui auraient dû être identifiés dans la phase 1 n’ont émergé qu’après la phase 4, il est difficile, voire impossible de considérer cette étape. Pour s’en tenir à la situation, il semblerait que la question de choix ne se poserait pas dans la mesure où le choix était déjà fait.
Choix d’une solution. La plupart du temps les choix sont décidés en haut lieu, et ce rarement à l’issue de processus démocratiques. La population n’est pas interrogée pour qu’elle donne son opinion. Bien que les décideurs politiques puissent consulter divers spécialistes, il n’en demeure pas moins qu’ils sont les seuls à détenir le pouvoir. Or, pour qu’une politique soit efficace, il faut qu’elle soit comprise et acceptée de façon minimale par la population et que celle-ci ait les moyens de la suivre. Le créole sera enseigné à l’école. Mais l’orthographe a-t-il été vulgarisé auprès de la population ? A-t-on mis en œuvre des moyens de diffusion, comme des sessions d’information ou de formation ?
Application. C’est la phase critique. Pour qu’une politique soit effective, il faut qu’elle soit planifiée et qu’elle se donne les moyens de cette planification. Parmi ces moyens, on compte les moyens financiers, structurels et humains. On court aussi le risque, dans le cas d’une politique mal définie, d’une « défaite » de cette politique par le gouvernement qui suivrait. Dans tous les cas, il faut sensibiliser la population, l’informer, financer des campagnes médiatiques, autant de mesures qui ont un coût non négligeable. Que nous indique la situation actuelle ? Aucune campagne de vulgarisation n’a été menée auprès de la population. Devrons-nous alors attendre que les petits aient commencé leur apprentissage pour partager ce qu’ils ont appris à papa et maman ? Ou chacun devra-t-il se procurer un dictionnaire pour pouvoir suivre l’évolution de son enfant ?
Après avoir instauré la politique, il faut encore se doter de moyens pour la diffuser. Une politique linguistique ne peut pas non plus se passer d’un appui législatif. Elle nécessite une prise de position claire et définitive qui trouve son aboutissement dans la Constitution.
La réussite des politiques et planifications linguistiques dépend de nombreux facteurs, pas tous linguistiques. Les enjeux sont multiples.
Pour terminer considérons brièvement la situation actuelle. La décision a été prise. Or, après avoir passé en revue les phases théoriques, on s’aperçoit qu’il y a eu un certain manquement à un certain niveau. Toutes les étapes ont-elles été respectées ? Cela n’est pas sûr. Cette situation n’est-elle pas la conséquence directe d’un empressement ? Le Ministre est content d’avoir trouvé 99 « trainee teachers » pour suivre la formation. Y a-t-il de quoi se vanter ? Quel « trainee » un peu sensé passerait à côté de l’opportunité de se voir devenir « teacher » à la seule condition de suivre la formation ? Sans oublier la compensation salariale en prime pour les enseignants choisissant d’enseigner le créole. Ne serait-ce pas finalement une autre illustration de la soif de pouvoir et de l’ego de certains politiciens ? Et il n’y a toujours pas de curriculum ni de manuels plus de cinq mois après le début du travail entamé par AKM et la MIE. A quoi dans ce cas former les futurs enseignants, un programme n’étant pas encore défini ? Après tout, le Ministre de l’Éducation, si tout se passe comme il le prévoit, restera dans l’histoire comme celui ayant osé franchir le pas. Si l’enseignement du créole est en soi très louable, la situation actuelle montre un réel manque.
Défendons notre patrimoine, mais pas à n’importe quel prix, et surtout pas aux dépens de nos enfants qui comme les politiciens aiment tellement à le faire entendre, sont l’avenir du pays !

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