PREMIÈRE PARTIE: Introduction du créole à l’école : un cas de politique linguistique
Nooreeda Khodabocus*
(Jeunesse Militante)
L’introduction du créole à l’école fait partie de ce qu’on nomme « politique linguistique ». Le langage est un fait social et possède une dimension politique, d’une part dans le sens de l’adjectif, c’est-à-dire « qui est relatif à la société » et d’autre part dans le sens du nom, c’est-à-dire « l’ensemble des affaires publiques ». Mon propos est d’évoquer ici les bases théoriques de l’élaboration d’une politique et d’évaluer à la lumière de ces observations la situation actuelle quant à l’introduction du créole comme matière à l’école.
Les questions linguistiques sont associées à des domaines fondamentaux et souvent très sensibles de la société. Elles concernent l’administration, le commerce, les médias, les sciences, la justice, et l’éducation entre autres. Je ne considère ici que le domaine éducatif. Déjà, dès l’instant où l’on considère la question de politique linguistique relatif à l’éducation, des questions élémentaires doivent être posées, questions auxquelles je vais tenter de répondre en considérant le contexte :
Quelle langue comme véhicule d’enseignement ?
Officiellement, la langue d’enseignement est l’anglais, sauf pour les classes de langues où l’enseignement se fait dans la langue étudiée. Le créole n’est pas autorisé au-delà de la troisième année du primaire [« Education Act », Section 37A, First Schedule §43 Medium of instruction and teaching of languages]. Il suffirait de faire stopper l’hypocrisie et de permettre à l’enseignant, qui est le mieux placé pour en juger, de choisir la langue la plus adaptée selon les compétences des élèves.
Quelle(s) langue(s) enseigner à l’école et jusqu’à quel niveau ?
Quelle variété de langue enseigner ?
Toute langue est sujette à des variations, à différents niveaux. Les variations peuvent être d’ordre géographique, lexicales, phonétiques entre autres. Ainsi, on ne parle pas tout à fait de la même manière dans les différentes parties de l’île, ou dans les îles dépendantes. On ne prononce pas non plus de la même manière. Par exemple, certains disent « éducation » et d’autres « édikasion ». Ce ne sont pas pour autant des mots différents mais deux prononciations du même mot. Est-ce que dire « éducation » voudrait dire qu’on ne parle plus créole ? Est-ce qu’on appellerait quelqu’un « Zili » alors qu’elle s’appelle « Julie » juste pour créoliser le nom ? Pour en revenir à la situation actuelle, quels paramètres ont été considérés pour choisir la variété ? A-t-on pris en compte l’évolution de la langue ou s’est-on seulement basé sur des orthographes existantes ? Concernant ces orthographes, sont-elles les mieux adaptées ? Qui n’a rencontré de sérieuses difficultés à lire un message publié en « bon créole » ? Le créole mauricien est à base lexicale française et à considérer l’orthographe en usage de manière générale, on peut s’apercevoir que la graphie française est le plus souvent la plus adaptée, et la plus facile à comprendre. D’un point de vue méthodologique, on ne peut nier le fait que « lortograf kreol » élaboré est un travail de grande qualité, mais cet orthographe nécessiterait une diffusion auprès de la population.
Quels moyens donne-t-on ?
Que ce soit en termes de politique linguistique ou en termes de gestion de l’Etat, il faut d’abord se demander de quels moyens financiers on dispose pour l’application de la politique.
Que doivent contenir les manuels, grammaires et dictionnaires ?
Je voudrais juste ici souligner le peu de temps qu’il a fallu aux personnes concernées pour développer « lortograf kreol morisien » et la grammaire, alors que des mauriciens spécialistes du créole travaillent depuis des années dans des laboratoires de créolistique et n’ont toujours pas une grammaire élémentaire de la phrase simple du créole mais seulement des descriptions de différents syntagmes. Ayant moi-même fait des recherches en grammaire, je peux affirmer qu’il m’a fallu plus de deux ans de travail afin de présenter une étude d’un seul temps de verbe, et seulement dans une de ses fonctions…
Première interrogation par rapport à la situation actuelle : ces questions ont-elles été posées ? Il me semble que non, ou si elles l’ont été, la situation ne semble pas l’indiquer, ce qui voudrait alors dire que les décideurs ont fait fi des recommandations. Ce ne sont que des hypothèses mais elles semblent être les premières à faire surface à qui considère la partie théorique de politique linguistique et la situation actuelle.
Quelques définitions
Lorsque l’on parle de politique linguistique, il faut surtout considérer le couple politique/planification linguistique.
Une politique linguistique est l’ensemble des décisions relatives à la forme ou aux fonctions des langues prises par différentes instances.
La planification linguistique concerne elle l’ensemble des moyens et des mesures mis en œuvre pour l’application d’une politique linguistique.
Politique et planification linguistiques concernent des décisions, des choix, des moyens. Les interventions sur la langue peuvent prendre deux formes. Les interventions peuvent concerner la forme de la langue, c’est-à-dire la graphie, la morphologie, le lexique, la grammaire. Les interventions peuvent aussi concerner les fonctions de la langue.
Interventions sur la forme
Doter la langue d’une écriture. Si l’on veut enseigner une langue, il est nécessaire qu’elle soit dotée d’une graphie afin d’être reproduite dans des manuels, des grammaires, des dictionnaires.
Standardiser, c’est-à-dire codifier la langue de manière à ce qu’elle serve de standard. Petite question : le standard présenté par le ministère a-t-il été diffusé auprès de la population ?
Interventions sur le lexique. Parenthèse : le créole, de par sa nature et son origine, ne possède pas de mots propres à certains contextes, comme les mots techniques pour les sciences ou l’informatique. On a alors recours au mélange ou à l’alternance des langues. Combien de fois ne se retrouve-t-on pas devant l’obligation de recourir à un mot anglais ou français pour pallier un manque par rapport au lexique du créole lorsque l’on veut s’exprimer de manière élaborée ? Il n’y a qu’à consulter le rapport publié par le Ministère de l’Education et l’AKM pour se rendre compte du nombre de mots empruntés au français car le créole ne possède pas de lexique adapté.
Interventions sur les fonctions
Selon les situations, les décideurs peuvent choisir d’officialiser une langue, de la normaliser, de l’introduire dans le système éducatif.
Le créole n’a pas de statut officiel. Il est traité de manière implicite dans la constitution. C’est la politique du « laisser-aller » selon la terminologie. Ou du moins c’était le cas jusqu’à la fameuse décision de l’enseigner. Normaliser le créole signifierait lui assigner une place. L’État pourrait aussi choisir de faire de la langue une langue nationale. Ainsi, bien qu’il ne s’engage pas lui-même à utiliser la langue, il en assure la protection et la promotion.
Ce n’est qu’une fois que tous ces paramètres ont été considérés que l’on peut prétendre à l’élaboration d’une politique en vue de son application.
* (Master 2 en Sciences du Langage, Université de Bourgogne)
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